MondialNews.com : Alice Ekman : “La relation entre la Chine et la Russie est beaucoup plus qu’un mariage de raison”
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Alice Ekman : “La relation entre la Chine et la Russie est beaucoup plus qu’un mariage de raison”




A ceux qui pensaient que la guerre en Ukraine allait mettre à mal le partenariat “sans limites” entre la Chine et la Russie, Xi Jinping a montré le contraire lors de sa visite à son “ami” Vladimir Poutine, la semaine dernière. En réalité, le régime communiste chinois n’a cessé de se rapprocher de son voisin ces neuf dernières années. Et il va continuer à le faire, même si le déséquilibre économique ne cesse de s’accroître entre les deux pays, car ce mouvement s’inscrit dans un objectif stratégique de long terme, explique Alice Ekman, analyste en charge de l’Asie et de la Chine à l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne et auteur de “Dernier vol pour Pékin – Essai sur la dissociation des mondes” (Editions de l’Observatoire). Plus globalement, poursuit la sinologue, Pékin cherche à créer une coalition de pays pour marginaliser l’Occident et décrédibiliser son système politique. Entretien.L’Express : Près d’un an après le début de la guerre en Ukraine qui ravage le pays et la vie des civils, Xi Jinping n’a toujours pas condamné l’agression russe. En visite à Moscou quelques jours après que Vladimir Poutine a reçu un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, le président chinois n’a cessé de mettre en scène son amitié avec son homologue russe, sa foi dans ce partenariat stratégique et sa défiance envers l’Occident. Au risque de ternir encore plus son image en Occident. Quel but poursuit-il sur le long terme ?Alice Ekman : Le rapprochement avec la Russie, qui a commencé il y a neuf ans, s’inscrit dans une stratégie de long terme et dans un contexte de tensions fortes et prolongées entre la Chine et les Etats-Unis ; et, plus largement, entre d’un côté un groupe de pays incluant la Chine et la Russie, et de l’autre un groupe de pays dit “occidental”. Depuis le début de la guerre, la Chine n’a engagé aucune distanciation vis-à-vis de son partenaire stratégique. Au contraire, la relation bilatérale s’est consolidée à plusieurs niveaux.Sur le plan commercial tout d’abord, puisque le volume total des échanges entre les deux pays a augmenté en 2022 de près de 30 % sur un an, par rapport à 2021 – d’après les chiffres des douanes chinoises publiés mi-janvier. En parallèle, les deux pays ont poursuivi la conduite d’exercices militaires conjoints : en mer de Chine orientale fin 2022, au large des côtes sud-africaines en février (avec également l’Afrique du Sud), au large du golfe d’Oman (avec également l’Iran) en mars. Sur le plan diplomatique, enfin, la Chine a tout fait pour éviter que la Russie devienne un État paria, en multipliant les échanges bilatéraux de haut niveau depuis le début de la guerre, en coopérant avec elle au sein du G20, des BRICS et autres enceintes multilatérales. En avril 2022, la Chine s’est – en vain – opposée à la suspension de la Russie du Conseil des droits de l’homme de l’ONU.En réalité, cela fait neuf ans que le rapprochement sino-russe est sous-estimé. En 2014, après l’annexion de la Crimée, quand la Russie s’est tournée vers la Chine en signant des accords énergétiques importants avec elle, certains ont évoqué une coopération pragmatique et de court terme. La relation bilatérale était souvent qualifiée de simple “mariage de raison”. C’était oublier à la fois l’éventail des secteurs de coopération entre les deux pays (énergétique, mais aussi militaire, spatiale, diplomatique…), et les motivations plus profondes qui rassemblent les deux pays – et premier lieu leur vif ressentiment contre ce qu’ils appellent l'”Occident”.En recevant Xi à Moscou, Poutine a fait preuve d’une déférence peu commune. De fait, la Chine n’a cessé d’accroître son ascendant sur son voisin. Quels bénéfices la Chine peut-elle tirer de cette situation ?Il y a des bénéfices pragmatiques : la signature de nouveaux contrats énergétiques, avec des tarifs préférentiels et négociés en yuan, pour contourner le dollar. Mais la Chine est assez intelligente pour montrer suffisamment de signes d’égards à la Russie. Depuis 2013, elle n’a par exemple cessé de rassurer la Russie au sujet des nouvelles Route de la soie, en lui affirmant que ce n’est pas un projet concurrent. L’ascendant chinois s’est certes renforcé, mais la Chine a tout intérêt à ne pas humilier la Russie. Elle considère en effet sa relation avec la Russie comme prioritaire, stratégique et de long terme.Le déséquilibre n’est-il tout de même pas de nature à fragiliser le partenariat ?Aujourd’hui, il est à la mode de parler de “vassalisation de la Russie par la Chine”. L’expression me dérange, car elle peut sous-entendre que le rapprochement sino-russe n’est pas tenable – ce que l’on affirmait déjà il y a 9 ans et qui s’est révélé faux. Par ailleurs, elle ne prend pas en compte le fait que dans sa communication, la Chine ménage la Russie.De plus, la Chine est consciente que la Russie est un membre du Conseil de sécurité de l’ONU, que c’est une puissance militaire nucléaire – malgré les limites que l’on constate actuellement en Ukraine -, mais également une puissance diplomatique, spatiale, et en matière de propagande.Bien sur, il existe un déséquilibre économique entre la deuxième et la onzième économie mondiale. Mais cela n’a pas empêché – et n’empêche toujours pas – la consolidation progressive du rapprochement parce que l’objectif de long terme est politique, idéologique et géostratégique.En quoi consiste-t-il ?Sur le plan politique, lors de la visite de Xi Jinping à Moscou, Vladimir Poutine a, à nouveau, félicité son homologue chinois pour sa “réélection” pour un troisième mandat. De son côté, Xi Jinping anticipe déjà publiquement que Vladimir Poutine restera au pouvoir après 2024. Les deux pays condamnent ce qu’ils appellent des “révolutions de couleur” – un terme auquel les deux dirigeants ont encore fait référence lors de leur rencontre -, fomentées, selon eux, à travers le monde par les Occidentaux, et s’opposent aux changements de régime au sens large. La visite de Xi Jinping en Russie a consolidé le soutien politique mutuel entre les deux pays, face à ce qu’il considère être la menace occidentale. Sur le plan géostratégique, ils condamnent tous les deux l’existence de l’Aukus (l’accord de coopération militaire entre les Etats-Unis, l’Australie et la Grande-Bretagne) et de l’Otan – et se sont dits préoccupés par sa présence grandissante en Asie. Plus largement, tous deux partagent une très forte volonté de défier l’Occident. L’existence d’un ennemi commun, mais surtout la volonté de créer ensemble un nouvel ordre mondial au sein duquel cet ennemi serait marginalisé, constitue la force motrice du rapprochement sino-russe.Au-delà des grandes déclarations d’amitié, la visite de Xi à Poutine a-t-elle débouché sur un renforcement concret des coopérations entre les deux pays ?A mon sens, c’était avant tout une visite d’Etat qui comportait une forte dimension politique. Mais on note aussi la consolidation de la coopération dans les secteurs traditionnels (énergie en premier lieu, agriculture), et l’accélération de la diversification à d’autres secteurs (automobile, finance/nouveaux systèmes de paiement, logistique, entre autres). Les deux pays ont notamment annoncé le renforcement des liens entre le projet chinois des nouvelles Routes de la soie et le projet russe de l’union économique eurasiatique, et plus largement le renforcement de la coopération en Asie centrale. Cet axe de coopération est à suivre – à voir s’il ne s’agit que d’une simple annonce ou si elle sera effectivement suivie de nouveaux projets concrets d’infrastructures de transports ou de télécommunication dans la région.La Chine a-t-elle néanmoins des réserves envers son voisin ?A l’évidence, la Chine n’a pas apprécié d’avoir à évacuer plus de 6 000 ressortissants du territoire ukrainien rapidement dans un contexte de guerre. Et l’Ukraine était un partenaire intéressant pour elle, sur le plan agricole notamment. La Chine ne se réjouit certainement pas de cette guerre, mais elle ne fait rien pour la condamner. Elle préfère continuer à soutenir la Russie de Vladimir Poutine, car Il y a beaucoup plus d’enjeux qui les rapprochent que d’enjeux qui les divisent.La Chine se rapproche de la Russie mais aussi de l’Iran et de l’Arabie saoudite, tout en défendant les préoccupations sécuritaires de la Corée du Nord et en critiquant avec virulence les démocraties occidentales. Assiste-t-on à un rapprochement des régimes autoritaires face à face à l’Occident sous l’égide de la Chine ?La Chine est assurément dans une stratégie de coalition qui s’adresse aux pays dits “en développement” en premier lieu, et cherche à marginaliser l’Occident.Cela ne fait plus de doute. Elle espère ainsi fragiliser, dans les enceintes multilatérales, les oppositions sur les dossiers sensibles. De fait, les pays qui soutiennent aux Nations unies les positions chinoises sur le Xinjiang, Hong Kong et autres enjeux liés aux droits de l’homme, sont pour la plupart des Etats non-occidentaux et non démocratiques.La volonté de marginaliser l’Occident s’exerce aussi dans le champ des idées. Le Parti communiste chinois considère que pour se maintenir au pouvoir, il est nécessaire de lutter contre la pénétration des idées et critiques considérées comme politiquement hostiles sur le territoire national ; mais aussi de s’opposer plus systématique et avec plus de virulence à l’influence des idéaux démocratiques et libéraux dans le monde. Elle le fait, aux côtés de la Russie, en prônant le relativisme : il n’existerait pas de valeurs universelles, la Chine et la Russie seraient “démocratiques” et les autres formes de démocraties ne seraient pas “supérieures” aux leurs – c’est ce que les deux dirigeants ont déclaré lors de leur rencontre à Moscou. Ce relativisme était déjà défendu dans le communiqué conjoint du 4 février 2022, publié à l’issue de la visite de Vladimir Poutine à Pékin, à l’occasion des Jeux olympiques d’hiver.Quelle menace cette tendance représente-t-elle pour les démocraties occidentales ?C’est une menace dans le sens où la Chine a l’ambition de promouvoir un modèle politique et sécuritaire alternatif, et surtout dans le sens où elle se donne les moyens de cette ambition. Elle promeut cette ambition avec plus d’activisme depuis la réouverture post-Covid de la Chine ces derniers mois. Un exemple récent parmi d’autres de cet activisme : le gouvernement chinois a annoncé le mois dernier qu’elle offrirait des programmes de formation à 5 000 policiers et militaires étrangers – exclusivement de pays dits “en développement” – dans les cinq prochaines années.Si la Chine fournit aux régimes autoritaires les moyens – humains, technologiques – de rester en place, alors elle contribue à l’évidence à les renforcer. Dans ce contexte, les démocraties pourraient être davantage menacées, non seulement parce qu’elles font face à un risque de marginalisation dans les enceintes multilatérales, mais aussi à un risque de fragilisation sur leur propre territoire. Quand la Chine et la Russie développent des stratégies de propagande qui visent à critiquer constamment l’Occident, à souligner les faiblesses de son système politique, voire à créer des divisions internes, notamment en contexte électoral, cela a des conséquences – notamment dans les pays qui n’ont pas les moyens de s’en prémunir, ou qui n’ont tout simplement pas saisi la réalité de la menace.En Chine, les discours antiaméricains et antioccidentaux deviennent de plus en plus virulents. Tandis qu’à Washington, il existe un consensus bi partisan sur le fait que la Chine est l’ennemi public numéro un. Dans ce climat, les tensions ne risquent-elles pas de continuer à s’aggraver ?Bien sur. Les discours sont en effet de plus en plus manichéens. La communication antioccidentale a atteint un niveau de violence en Chine inédit depuis l’époque maoïste. On assiste à une polarisation du monde qui est inquiétante dans le sens où ce n’est pas uniquement une compétition d’influence économique ou diplomatique, c’est une compétition de normes, de valeurs, de systèmes politiques. La Chine considère que, pendant trop longtemps, l’Occident l’a humilié, l’a écrasé de son influence au sein des organisations multilatérales, et qu’il est temps de le faire taire, et de riposter. Ce ressentiment est profondément ancré au sein du Parti communiste chinois. Le positionnement de la diplomatie des “loups combattants”, qui depuis 2019 cible spécifiquement les pays occidentaux – pays de l’Union européenne compris – est toujours en cours, et a déjà laissé des traces. Et il sera difficile de revenir en arrière, à une époque où les codes de la communication diplomatique étaient respectés.



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Author : Cyrille Pluyette

Publish date : 2023-03-26 05:30:00

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Tags : L’Express

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