Des quartiers entiers submergés par l’eau et la boue, des glissements de terrain, d’énormes destructions. La ville côtière libyenne de Derna offre un paysage apocalyptique après les inondations dévastatrices survenues le 10 septembre. Bilan provisoire : plus de 3 800 morts et des milliers de disparus. Une catastrophe climatique est donc venue s’ajouter aux autres calamités endurées par la Libye. La tempête Daniel a enseveli cette ville méditerranéenne de l’est du pays – partie du territoire libyen où règne le maréchal Haftar. Ironie de l’Histoire : naguère occupée par les djihadistes de l’Etat islamique, Derna se croyait tranquille depuis qu’elle avait été libérée par l’Armée nationale libyenne de Haftar et ses alliés russes, en 2018.Capture d’images diffusées sur les réseaux sociaux par la chaîne de télévision libyenne Al-Masar, le 13 septembre 2023, montrant une vue aérienne des dégâts occasionnés par les inondations à Derna, dans l’est de la Libye.Mercredi 13 septembre, un avion militaire français transportant une quarantaine de sauveteurs et plusieurs tonnes de matériel sanitaire, dont un hôpital de campagne, est arrivé en Libye pour venir en aide aux sinistrés. Le contraste est frappant avec le Maroc, où le roi Mohammed IV a refusé l’aide tricolore après le tremblement de terre du 8 septembre. “L’image de la France n’est pas mauvaise en Libye ; c’est une différence avec de nombreux pays sahéliens, explique à L’Express Siddiq Haftar, le fils aîné du maréchal Haftar, qui se trouvait à Paris au moment où la tempête Daniel a frappé son pays. En 2011, poursuit-il, le gouvernement français a bien agi en renversant, avec d’autres, le régime de Kadhafi. Mais il est vrai que, par la suite, rien n’a été entrepris pour stabiliser le pays et jeter la base d’une administration et d’un Etat solide”, ajoutait-il, dimanche 10 septembre, avant d’interrompre une tournée à Paris, Bruxelles et au Parlement européen pour rejoindre Benghazi (est du pays), où se trouve l’une des deux chambres du Parlement – l’autre se trouvant à Tripoli (ouest).Où en est exactement ce pays pétrolier de 7 millions d’habitants en proie à une instabilité profonde depuis le renversement de Kadhafi, en 2011 ? Depuis une décennie environ, la Libye fonctionne comme un duopole. Dans la Cyrénaïque (est du pays, capitale Benghazi), l’essentiel des richesses pétrolières est sous le contrôle du maréchal Khalifa Haftar, qui n’a pas le droit de les exporter. Et, dans la Tripolitaine (ouest, capitale Tripoli), le gouvernement d’Abdel Hamid Dbeibah n’a pas de pétrole mais contrôle les terminaux d’exportation. En somme, les deux dirigeants se tiennent par la barbichette.L’un, Dbeibah, à Tripoli, présente l’avantage de représenter le gouvernement reconnu par la communauté internationale. Mais l’autre, Haftar, à Benghazi, peut compter sur pléthore de soutiens internationaux : Russie, Emirats arabes unis, Arabie saoudite, Egypte, France, Etats-Unis. Face à quoi, Tripoli compte avec l’appui de la Turquie et du Qatar.Le maréchal Khalifa Haftar, à Paris, le 29 mai 2018.Après plus d’une décennie de conflits, tout le monde semble vouloir davantage de stabilité et passer à autre chose. “Depuis l’échec de son offensive militaire sur Tripoli en 2019, le maréchal Haftar a perdu du prestige international et du crédit auprès de ses soutiens ; on est passé à une phase d’accalmie”, remarque l’expert David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Iris. Le revers de Haftar explique d’ailleurs la mise en avant récente de son aîné, Siddiq Haftar, qui n’est pas un militaire comme ses frères, mais un homme d’affaires diplômé d’économie, ce qui le rend présentable aux yeux de la communauté internationale. Autre facteur d’apaisement en Libye : le conflit en Ukraine, qui accapare les Russes et bien d’autres acteurs, ce qui contribue indirectement à la “déconfliction”.Les mercenaires de Poutine se font discretsLe groupe Wagner ? Il était engagé jusqu’au cou auprès du maréchal Haftar. Evgueni Prigojine lui avait même rendu visite en octobre 2022 pour lui réclamer 200 millions de dollars en cash en rétribution de services rendus. Aujourd’hui, les mercenaires de Poutine se font discrets. Lorsqu’on l’interroge à leur propos, Siddiq Haftar, qui devrait pourtant avoir une idée sur le sujet, esquive prudemment : “Vous savez, je suis avant tout un membre de la société civile. Je ne suis pas très versé dans les affaires militaires, et je ne suis pas un non plus un politique, plutôt un simple citoyen de mon pays”, dit celui qui se présente comme un diplomate et un entrepreneur.Seule vraie bonne nouvelle : une certaine stabilité voit le jour sur le terrain économique. “Les deux banques – une à l’ouest, une à l’est – ont récemment fusionné en une seule Banque centrale”, se félicite le fils du maréchal Haftar. Et cela sous l’égide d’un président consensuel à la tête de l’institution financière. Le même phénomène s’observe à la tête de la National Oil Corporation, la compagnie pétrolière nationale, où l’attelage composé du président de l’entreprise et de son bras droit est accepté, bon an mal an, par toutes les parties. “Il faut dire que le pétrole libyen représente une véritable manne et que tout le monde a intérêt à trouver un terrain d’entente”, reprend David Rigoulet-Roze, rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques. Descendu un temps à 400 000 barils par jour, la production d’or noir est remontée à 1,2 million de barils, elle était de 1,8 million de barils avant la chute de Kadhafi. Or le pétrole libyen est, comme le saoudien, très peu cher à extraire : le coût d’extraction avoisine 1 dollar le baril.Aucune réconciliation nationale possible dans l’immédiatPolitiquement, les rivalités restent vives et les blocages, nombreux. Dans l’Ouest, par exemple, la présence – voire l’omniprésence – de la Turquie exaspère. Le gouvernement d’Abdel Hamid Dbeibah, à Tripoli, lui a en effet concédé l’exploitation de la principale base aérienne, ainsi que les deux ports les plus importants dont celui d’Al-Khoms, qui fait l’objet d’un bail emphytéotique de quatre-vingt-dix-neuf ans. Cette fleur faite à Ankara a suscité des protestations parmi la population, en particulier dans la ville portuaire d’Al-Khoms, mais aussi au-delà.”Les Turcs se sentent de plus en plus chez eux en Tripolitaine, ce qui contrarie le sentiment national des Libyens, guère enchantés par une telle mainmise d’Ankara.” Contre l’évidence des faits (des photos satellites prouvent que des constructions sont en cours), le gouvernement de Tripoli nie louer le port d’Al-Khoms à la Turquie. Evidemment, aucune réconciliation nationale ne sera possible tant que les Turcs occuperont ce port, dit, en termes diplomatiques et sous la forme interrogative, Siddiq Haftar : “Dites-moi, selon vous, le port d’Al-Khoms se trouve en Libye ou en Turquie ?””Il faut trouver la solution entre Libyens”Avec ces tensions entre l’est et l’ouest du pays, la perspective de mettre fin au duopole Tripoli-Benghazi demeure éloignée. Après les scrutins annulés en 2021 et en 2022, la présidentielle a été reportée sine die. Certains espéraient une élection en 2023. Impensable ! Et rien n’indique qu’un scrutin aura lieu en 2024.”Il faut que les Libyens trouvent la solution entre eux, sans que les étrangers s’en mêlent, sinon dans le rôle de simples observateurs”, estime Siddiq Haftar, qui pourrait bien un jour se porter candidat pour succéder à son père. En 2021 et 2022, l’organisation du scrutin avait achoppé sur les candidatures de Saïf al-Islam (fils de Mouammar Kadhafi) et du maréchal Haftar. Tous deux avaient été récusés par le camp adverse. David Rigoulet-Roze résume : “Hélas, personne n’a encore trouvé le Graal qui permettrait de sortir des années de guerre civile.” Pour la Libye, malgré la manne pétrolière, la traversée du désert n’est pas terminée.
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Author : Axel Gyldén
Publish date : 2023-09-14 10:16:38
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Le fils du maréchal Haftar : “En Libye, l’image de la France n’est pas mauvaise”
