Comme pour un tremblement de terre, la crise des gilets jaunes n’a pas fini de susciter des répliques. Il y a 5 ans, l’augmentation de la taxe carbone sur les carburants enflammait les ronds-points, obligeant le gouvernement à faire machine arrière sur la fiscalité écologique. En cette rentrée 2023, la hausse des prix de l’essence s’impose à nouveau dans le débat social et politique. D’après les dernières statistiques publiées par l’UFIP, le litre de gazole atteignait (valeur au 8 septembre) 1,82 euros TTC, un plus haut niveau depuis mars dernier. Le tarif du super sans plomb tutoyait, lui, les 2 euros le litre, un chiffre inconnu depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. En cause : la hausse du prix du baril. L’or noir est passé́ de 75 dollars en juin à̀ plus de 90 dollars début septembre, avec la volonté́ de l’Arabie saoudite et de la Russie de brider la production pour soutenir les cours. Ce nouveau coup de chaud est d’autant plus pénalisant que sur la même période, l’euro s’est légèrement déprécié par rapport au billet vert, ce qui mécaniquement renchérit la valeur de nos importations.Le sujet est tellement explosif qu’il en est devenu le baromètre de l’état de nervosité de l’exécutif. Depuis 18 mois, le gouvernement a multiplié les initiatives pour limiter l’envolée de la facture des automobilistes : remise de 10 centimes sur le litre à la pompe, chèque carburant de 100 euros pour les ménages les plus démunis. Des mesures qui se sont ajoutées aux remises accordées un temps par TotalEnergies. Sauf qu’une partie de ces béquilles ont disparu et qu’avec la fin du quoi qu’il en coûte, il fallait trouver une nouvelle astuce.Pour éviter un nouvel embrasement social, Elisabeth Borne a donc sorti de son chapeau une nouvelle mesure : autoriser la vente à perte d’essence. En clair, les distributeurs auront le droit de vendre le carburant à un prix inférieur au prix auquel ils l’ont acheté. Une technique qui était interdite depuis 1963.Alors que Bercy est en train de peaufiner les dernières lignes de son projet de budget pour 2023, dans lequel la prime à l’achat de véhicules électriques devrait être maintenue, aider à rendre les énergies fossiles moins onéreuses paraît baroque. En tout cas, à rebours des ambitions écologiques affichées par Emmanuel Macron.Une politique de gribouilleEn réalité, cette décision est contre-productive pour trois raisons.Primo, elle risque d’abord d’entraîner une forme de distorsion de concurrence entre les grandes enseignes qui peuvent encaisser ces ventes à perte et les indépendants, souvent des petites entreprises dont les volumes sont faibles et les marges peu élevées. D’après les calculs du cabinet Asteres, les marges des pompistes seraient de l’ordre d’à peine 2 centimes par litre. Si la mesure venait à se prolonger, ce sont des centaines de petits pompistes, notamment en zones rurales, qui pourraient être forcés à mettre la clef sous la porte.Deuxièmement, le potentiel de baisse des tarifs lié à cette nouvelle guerre des prix entre distributeurs est limité. En réalité, les taxes diverses représentent à elles seules 60 % du prix du litre acheté par le consommateur.Troisièmement, si les grandes enseignes de distribution font de l’essence leur produit d’appel, elles seront inévitablement obligées de refaire des marges sur d’autres produits, notamment alimentaires. Là même où l’inflation est déjà très élevée : la flambée des prix alimentaires atteignait encore plus de 11 % sur un an cet été… Pour les enseignes de distribution, ce tour de passe-passe passe est rendu possible par le fait que “les prix d’une multitude de produits en rayons sont moins facilement comparables pour le consommateur que les prix à la pompe”, constate Sylvain Bersinger, le chef économiste d’Asteres. Les Français gagneraient donc sur l’essence ce qu’ils perdraient sur le paquet de pâtes ou le baril de lessive…Derrière l’annonce d’Elisabeth Borne, c‘est bien une politique brouillonne qui se dessine. Une politique où la logique et la stratégie de long terme perdent, face à l’émotion des micros-trottoirs du journal de 20 heures.
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Author : Béatrice Mathieu
Publish date : 2023-09-19 03:55:48
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Vente à perte du carburant : une décision triplement contre-productive
