MondialNews.com : Cinéastes et producteurs réagissent au rapport de la Cour des comptes
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Cinéastes et producteurs réagissent au rapport de la Cour des comptes

Cinéastes et producteurs réagissent au rapport de la Cour des comptes



Depuis la Palme d’or pour Anatomie d’une chute et la diatribe de sa réalisatrice Justine Triet sur la scène du Grand Théâtre Lumière, fustigeant la mise en danger de l’exception culturelle française par des visions marchandes de l’art, le débat a-t-il avancé ? La publication, mercredi 20 septembre, d’un rapport de la Cour des comptes sur le CNC, principale source de financement du cinéma français (à travers aides et avances) continue à semer le doute. Et si, malgré les vertus de ce système quasiment unique au monde, il y avait trop de films ? Et si la multiplication des longs métrages non rentables n’avait que trop duré ? 

La petite musique ne date pas d’hier. Le président de la Cour des comptes, l’ancien socialiste Pierre Moscovici, vient d’ajouter sa pierre à l’édifice en appelant à une réforme et une simplification des aides du CNC, qui s’élevaient en 2021 à 247,5 millions d’euros pour les films – à égalité avec le soutien à l’audiovisuel, qui concerne aussi l’institution dirigée par Dominique Boutonnat. Le rapport, accueilli favorablement par la première ministre Élisabeth Borne, suggère aussi la création d’un “comité d’audit” pour explorer l’utilisation de l’argent redistribué par le CNC. 

D’où vient cet argent ?

Les rapports de la Cour des comptes n’ont pas force de loi – beaucoup sont même enterrés – et existent pour prôner une utilisation vertueuse de l’argent public. Or, si le CNC, créé en 1946, reste une institution sous tutelle du ministère de la Culture, le financement des films ne provient pas d’une ponction directe sur le budget de l’État. Une taxe sur les billets d’entrée en salle le finance, notamment. “Je suis un peu exaspérée de devoir le rappeler, s’agace la productrice et distributrice d’ARP, Michèle Halberstadt. Il faut encore expliquer que ce ne sont pas les impôts qui paient les films. L’argent vient de la profession et d’un système d’épargne forcée. Les opérateurs économiques paient des taxes. Seul le crédit d’impôt, qui a montré sa capacité à créer des emplois sur les tournages, utilise l’argent du contribuable.” 

Le point central du rapport s’avère plus politique que financier. Et concerne directement le cinéma d’auteur. Selon les chiffres de la Cour des comptes, 2 % seulement des films aidés entre 2011 et 2018 par le CNC via l’avance sur recettes (principal aide, sélective, au cinéma exigeant) ont généré des recettes guichet supérieures à leur coût. “En raison de leur nombre, une majorité de films ne restent pas assez longtemps à l’écran pour avoir la chance de rencontrer un succès public (…). La part croissante des films d’initiative française ayant été vus par moins de 20 000 spectateurs traduit les contradictions de la situation présente”, pointe le rapport. Une analyse basée sur la réalité de l’embouteillage des sorties de films, mais pleine de sous-entendus, que Michèle Halberstadt déplore : “Peut-être qu’il y a un peu trop de films, mais on a dit quoi quand on a dit ça ? Ce serait pire s’il n’y en avait pas assez. On a l’air d’enfants gâtés tout le temps, mais on n’en est pas. Confondre dépense et investissement ne mène nulle part. Un film est un prototype et le CNC un labo qui aide à fabriquer des prototypes. Or, tous les prototypes ne vont pas sur la lune !”

Des “petits films à caractère élitiste”

Devant la presse, Pierre Moscovici – cité par Le Monde – a précisé sa pensée :“ Si on cherche à faire dire à la Cour des comptes qu’elle préconise qu’il y ait moins de films français, ce n’est pas ce qu’elle dit. Elle constate en revanche qu’il y en a beaucoup et qu’il y en a pas mal qui ne rencontrent pas leur public. Cela mérite quand même une réflexion.” Cette “réflexion” qu’appelle de ses vœux l’ex ministre de l’Économie et des Finances de François Hollande, s’accompagne dans le rapport de l’utilisation de termes connotés, comme l’expression “petits films à caractère élitiste”, digne des points de vue les plus conservateurs sur le cinéma.

Tout en précisant qu’il n’a reçu d’aide du CNC qu’une fois depuis 2002, le réalisateur Olivier Assayas (Irma Vep, Sils Maria) ne cache pas sa lassitude : “Les films qui ne ‘rencontrent pas leur public’, voilà une ineptie qui traîne depuis toujours et pollue les discours, y compris bienveillants, avec des résultats néfastes bien concrets (…) Cette notion me semble complètement archaïque : il n’y a plus depuis fort longtemps de modèle économique pour le cinéma en salle. On pourrait dire que l’immense majorité des films (mainstream ou pas, c’est pareil) ne rencontre pas son public en salle, mais ailleurs, à l’étranger, sur les plateformes, les chaînes du câble etc… L’économie du cinéma a changé heureusement, mais le vieux discours reste le même.”

Privilège ?

Citée par le rapport de la Cour des comptes comme la cinéaste ayant reçu le plus de fois une avance sur recettes du CNC (7 fois) entre 2011 et 2021, Claire Simon se dit choquée d’être ainsi mise en avant. “Je suis scandalisée par cette histoire, explique la réalisatrice de Gare du Nord et Notre Corps. D’abord, il faut rappeler que je réalise à la fois des documentaires et des fictions. Or, les documentaires sont moins soutenus, et souvent après réalisation, ce qui a souvent été mon cas. Je suis aussi obligée d’aller voir le CNC, car la plupart du temps, les chaînes françaises refusent de soutenir le documentaire de création. Notre Corps a été une exception grâce à France 2 et j’en suis très fière.”

Loin de reconnaître le moindre “privilège”, Claire Simon explique réaliser des films qui ne “perdent pas d’argent et en coûtent aussi très peu”. Prenant l’exemple du grand cinéaste philippin Lav Diaz, elle rappelle qu’il est “du devoir du CNC d’aider des créations qui inventent dans le cinéma” et décrit son quotidien. “Les aides du CNC vont évidemment au film et non à la personne qui les réalise. Moi, en ce moment, je vis plutôt grâce à Airbnb. Je loue mon appartement quand je ne suis pas à la maison. J’ai un niveau de vie un peu difficile, c’est aussi pour cela que je fais beaucoup de films : c’est mon gagne-pain.”

Rampe de lancement

La productrice Marie-Ange Luciani, qui a sorti de terre parmi les films français les plus intéressants de la dernière décennie, évoque les cas de deux de ses protégé·es, Robin Campillo et Justine Triet. Le premier a réalisé très peu d’entrées avec son deuxième film Eastern Boys (2013) avant d’atteindre quasiment 900 000 entrées avec le suivant, 120 Battements par minute (2017). “Environ 80 % des films qui font moins de 20 000 ou 30 000 entrées et que pointe la Cour des comptes, sont des premiers longs métrages qui agissent comme des lampes de lancement pour les suivants. Robin a eu besoin de faire Les Revenants et Eastern Boys pour réaliser 120 Battements par minute. Justine Triet est un exemple extraordinaire de l’évolution d’une carrière de cinéaste, grâce à un système qui ne s’est pas arrêté sur la rentabilité de sa première œuvre, La Bataille de Solférino (26 000 entrées, contre près d’un million – en cours – pour Anatomie d’une chute, NDLR).” 

Le désir de lutte du cinéma d’auteur français, certainement le plus puissant du monde mais de toute évidence fragilisé, reste à vif. “On doit défendre le fait que nous sommes un pays où une diversité reste possible, que Mr Monsieur Macron essaie de démolir depuis le début, lance Claire Simon. Personne ne m’arrêtera, je continuerai à faire des films. Ils ne nous auront pas comme ça (rires)”. Même si le rapport de la Cour des comptes n’était pas suivi de conséquences directes, l’idée qu’il faudrait considérer un film comme un produit de consommation courante gagne sans cesse du terrain. “Ce que l’on craint, éclaire Marie-Ange Luciani, c’est une perte d’autonomie du CNC et un glissement de tutelle du ministère de la Culture vers celui du ministère des Finances. En tout cas, cette double tutelle est assumée dans ce rapport de la Cour des Comptes”. 

Malgré ses imperfections et la prime donnée aux projets “de moins en moins risqués” comme le souligne Michèle Halberstadt, le CNC se retrouve plus que jamais dans la position d’un rempart à protéger. Certains acteur·rices du milieu reconnaissent d’ailleurs que son actuel président Dominique Boutonnat, nommé en 2019 après la publication d’un rapport pourtant très critique sur le financement du cinéma français et son système de régulation, a en partie changé de point de vue. “En l’état, le CNC conteste ce rapport, ce qui est une bonne chose, remarque Marie-Ange Luciani. Malgré les pincettes prises lors de la conférence de presse de Pierre Moscovici, les ficelles sont visibles : ce rapport porte clairement atteinte au fonctionnement de l’exception culturelle et remet en question l’autonomie du CNC, garant de cette exception.”



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Author : Olivier Joyard

Publish date : 2023-09-21 17:00:23

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Tags : Les Inrocks

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