Partout, elles semblent pulluler. Dans les métros, les trains, les cinémas, les bibliothèques ou les logements de particuliers, des cas d’infestations aux punaises de lit sont rapportés. Sur X (ex-Twitter), des vidéos ou des photos de ces petites bêtes brunes gambadant librement dans l’espace public ou de leurs piqûres sur le corps de leurs victimes font des milliers, voire des millions de vues. Parfois, il s’agit d’un autre insecte, mais qu’importe. L’angoisse monte – au point que l’utilisation des mots-clés “punaises de lit” sur Google a atteint son pic record entre le 22 et le 29 septembre dernier, selon l’outil Google Trends. À la machine à café, il y a ce collègue qui nous confie avoir vérifié le siège de son train durant le week-end. Et cet ami qui, angoissé, effectue machinalement des recherches sur l’hygiène des salles de cinéma franciliennes dans lesquelles il se rend régulièrement.Sur les 30 derniers jours, les requêtes Google associées aux punaises de lit ayant enregistré la plus forte progression sont justement “punaises de lit + train”, “punaises de lit + assurances” ou encore “comment éviter les punaises de lit”. L’inquiétude touche particulièrement l’Ile-de-France : sur les sept derniers jours, la région est celle qui a enregistré le plus fort pourcentage de recherches des mots “punaises de lit” sur Google par rapport au nombre total de recherches sur le reste du territoire. Et la psychose dépasse les simples requêtes sur Internet. Nicolas Roux de Bézieux, fondateur du site Badbuggs.fr, a constaté une explosion des appels au standard de son entreprise : en quatre jours, ses équipes ont reçu l’équivalent d’un an de souscriptions pour des traitements ou assurances anti-punaises.”Pourtant, le sujet n’est pas nouveau, et les infestations n’explosent pas particulièrement depuis deux semaines. Elles sont en augmentation continue depuis cinq ans, avec une accélération sur les derniers mois”, souligne le spécialiste, qui rappelle qu’il existe toujours “un pic d’infestations” durant l’été, notamment dû aux mouvements de population. Stéphane Bras, porte-parole du groupement professionnel Chambre syndicale 3D (Dératisation, Désinfection, Désinsectisation), évoque de son côté “une réaction en chaîne” : “Des lieux culturels sont touchés, puis des moyens de transport, partout sur le territoire. Des vidéos sont publiées chaque jour sur Internet, ce qui créé une impression de nouveauté et une inquiétude légitime… Bien que ces situations existent depuis bien plus de deux semaines”. Depuis le début de l’été 2023, son syndicat a ainsi observé une augmentation de 60 % des appels par rapport à l’année précédente. Et depuis une semaine, la hausse se poursuit encore. “Je dirais que nous avons au moins 50 % d’appels supplémentaires par rapport au mois dernier”, souffle-t-il.”Tout se mêle un peu”L’Express a tenté de décortiquer les éléments déclencheurs de ce tsunami de contenus liés aux punaises de lit. Alors que le nombre de recherches sur Google concernant ce nuisible était plutôt stable depuis le mois d’octobre 2022 (avec un indice de proportion de recherche situé entre 10 et 14, sur un maximum de 100), tout s’emballe autour du 19 juillet 2023. Au début des vacances scolaires, un pic de consultation est alors atteint (l’indice atteignant 32 le 20 juillet), au moment où l’Anses publie un rapport très complet sur le sujet des punaises de lit. Entre 2017 et 2022, l’organisme sanitaire indique que plus d’un foyer français sur dix (11 %) a été infesté par ces nuisibles.Le document, épais de plus de 300 pages, précise qu’il n’existe pas de lien entre le niveau de revenu d’un foyer et le fait d’être victime d’une infestation, mais souligne que le coût de cette lutte peut être un facteur de persistance des nuisibles. En moyenne, la désinsectisation a ainsi coûté 866 euros aux victimes des punaises de lit – soit 1,4 milliard d’euros dépensés à l’échelle nationale entre 2017 et 2022. L’intérêt du public est alors intense, mais bref : dès le 21 juillet, le nombre de recherches retrouve son niveau habituel. Même l’alerte de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), qui s’est retirée le 27 juillet de la zone d’attente de l’aéroport de Roissy, “infestée de punaises de lit”, n’intéresse pas le public. En plein coeur de l’été, les Français sont davantage happés par la coupe du monde féminine de football ou la disparition inquiétante du petit Émile.A la fin du mois d’août, les recherches autour des punaises de lit recommencent à grimper progressivement, l’indice se stabilisant entre 9 et 20 du 25 août au 25 septembre, avant d’exploser la semaine dernière, atteignant son record de 100 le 29 septembre. Pendant cette période, les témoignages de piqûres, notamment dans les cinémas franciliens, se sont multipliés sur les réseaux sociaux – comme cette série de photos publiées par une usagère le 26 août 2023 et vues par plus de 260 000 personnes. Dans les transports publics, également, les internautes débusquent de petits insectes, appelant publiquement la SNCF ou la RATP à réagir.En rentrant d’une séance du MK2 Quai de Seine @mk2 oui c’est vraisemblablement bien une punaise de lit pic.twitter.com/YYeuo6qyr4— 🇷🇸🐲Le Dragonnier🐉🇫🇷 (@DraganBaIlZ) September 25, 2023Une vidéo publiée le 22 septembre et filmée dans un TGV Ouigo a ainsi été vue plus de 6,1 millions de fois. Près de 42 000 internautes ont également visionné un court film pris dans le RER C et publiée le 28 septembre, et près de 81 000 cette séquence enregistrée dans un bus francilien le même jour. En parallèle, des infestations éparses en région font la une des médias locaux, comme cette bibliothèque fermée à Amiens après la découverte de punaises de lit le 26 septembre, la fermeture des urgences du CHU de Reims le 18 septembre, ou des suspicions d’infestation dans des transports publics lyonnais. “Il y a évidemment des lieux touchés, mais aussi des vidéos qui montrent d’autres types d’insectes, comme des cafards de jardin ou des anthrènes… Tout se mêle un peu”, estime Nicolas Roux de Bézieux.Punaise de lit dans le RER C @RATPgroup @RERC_SNCF je vais me sucider pic.twitter.com/LgrqDkh8CH— boo (@famexlightt) September 28, 2023″L’ogre se nourrit lui-même”La machine médiatique s’est mis en marche. “L’information en continu et les réseaux sociaux peuvent être comparés à un ogre qu’il faut nourrir en quantité, sans arrêt. La concurrence est exacerbée, et chacun cherche ce qui lui permettra de sortir du lot : les contenus se multiplient, s’alimentent entre eux, ouvrant même la porte à des débats délirants”, analyse Isabelle Veyrat-Masson, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de la communication politique et médiatique. Ainsi Pascal Praud, animateur phare de l’émisssion “L’heure des Pros” sur CNews, a-t-il enflammé Internet après avoir évoqué un lien possible entre immigration et punaises de lit, vendredi 29 septembre. Les réactions sont immédiates : plusieurs personnalités politiques annoncent avoir saisi l’Arcom, le régulateur des médias ; les requêtes associées “punaise de lit + immigration” et “punaises de lit + Pascal Praud” décollent sur Google Trends sur les sept derniers jours. “L’ogre se nourrit lui-même”, résume Isabelle Veyrat-Masson.Cette forte inquiétude au sujet des punaises de lit est saisie par la classe politique. “Lorsqu’une demande sociale est à la fois poussée par les médias et les réseaux sociaux, et qu’elle touche de manière uniforme une large partie de la population française, le politique ne peut se défaire de cette pression médiatique”, considère Isabelle Veyrat-Masson. A fortiori si le problème recouvre une dimension sanitaire.Le 28 septembre, la mairie de Paris a demandé au gouvernement “un plan d’action sur le fléau” que représentent ces petits parasites, exprimant son souhait d’organiser des “assises de la lutte contre les nuisibles”. Le lendemain, la présidente des députés de la France Insoumise (LFI) Mathilde Panot a réclamé un plan d’urgence, pour endiguer “cet enfer vécu par des millions de gens qui ne savent pas comment s’en débarrasser”. Le même jour, le ministre délégué aux Transports Clément Beaune annonce réunir, dans les prochains jours, les opérateurs de transport pour “les informer sur les actions engagées et agir davantage au service des voyageurs”. Ce mardi 3 octobre, alors que les groupes Renaissance, Démocrate et Horizons ont annoncé qu’ils défendraient en décembre une proposition de loi sur le sujet, le ministre de la Santé Aurélien Rousseau considérait sur France Inter que les punaises n’étaient pas un “motif à la panique générale”, et que le gouvernement travaillera “à la limitation des tarifs” appliqués par les professionnels de la désinfestation.Punaises de lit : les groupes Renaissance, Démocrate et Horizons ont “décidé de faire de ce sujet une priorité”, annonce @SylvainMaillard.
Les députés de la majorité défendront en décembre une proposition de loi sur la question.#DirectAN pic.twitter.com/2VMP5ZhkZH— LCP (@LCP) October 3, 2023Dès ce vendredi 29 septembre, la RATP a indiqué à l’AFP que toute une rame de la ligne 8 du métro parisien, suspectée d’infestation, a été expertisée, et “qu’aucune présence de punaise de lit n’a été constatée dans le train”. “Tous nos matériels bénéficient d’un nettoyage approfondi régulier […] Ces derniers jours, aucun cas avéré de punaise de lit n’a été constaté dans nos matériels”, qu’il s’agisse de métro, RER, tramway ou bus, a précisé l’entreprise de transports publics. Idem pour la SNCF, qui a indiqué vendredi qu’après inspection, “aucun cas avéré de punaises lit n’a été confirmé ces derniers jours” à bord des TGV. Les groupes de cinémas MK2 et UGC ont, de leur côté, chacun publié des communiqués à ce sujet sur les réseaux sociaux.En attendant, Stéphane Bras tient à souligner le côté “positif” d’une telle médiatisation. “Plus les populations seront informées du phénomène, plus elles pourront s’en prémunir et adopter les bons gestes pour s’en débarrasser”, rappelle-t-il. L’intérêt du public est par essence éphémère. Sur Google Trends, l’indice de l’évolution pour la recherche “punaises de lit” tombait à 28 ce lundi 2 octobre. L’attrait de la recherche “Ligue des champions” l’a surpassée.
Source link : https://www.lexpress.fr/societe/punaises-de-lit-recit-dune-psychose-nationale-videos-recherches-google-et-assurances-MJNOGRHBPNGUVKOZLSG2OFTUBU/
Author : Céline Delbecque
Publish date : 2023-10-03 16:08:04
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.
Punaises de lit, récit d’une psychose nationale : vidéos, recherches Google et assurances
