Notre productivité serait-elle meilleure dans un chalet ? Inutile de s’expatrier dans le Tyrol pour tenter l’expérience, les bureaux en bois prennent leurs quartiers dans la région parisienne. Parmi les fers de lance de cette nouvelle tendance, le promoteur WO2 et ses 350 000 mètres carrés livrés ou en chantier en Ile-de-France. Son projet Marcadet Belvédère, 31 000 mètres carrés au nord du XVIIIe arrondissement, offrira en 2024 une vue imprenable sur le Sacré-Cœur. S’appuyant sur un socle de béton préexistant pour créer cinq niveaux en bois massif lamellé croisé, l’ensemble tirera 80 % de son énergie de la géothermie. Au total, une empreinte carbone divisée par deux par rapport à un immeuble neuf en matériaux traditionnels. A Nanterre, Arboretum cherche aussi ses futurs occupants. Un campus de 125 000 mètres carrés en bois, économe en énergie, en CO2 et en eau. L’odeur d’épicéa en prime. “Des études le prouvent : dans des bureaux en bois, la pression artérielle est moins élevée, le stress diminué et l’on observe un effet positif sur la concentration, affirme Guillaume Poitrinal, cofondateur de WO2. On n’enseignait pas le bois dans les écoles d’ingénieurs, plus habituées au béton. C’est en train de changer.” Guillaume Poitrinal, aussi, a changé, lui qui a dirigé pendant huit ans la foncière Unibail-Rodamco. “A l’époque, j’étais focalisé sur la performance et le nombre de mètres carrés par employé.” Aujourd’hui, l’ex-patron du CAC 40 parle toit végétalisé et produits de saison à la cantine.Sa bifurcation illustre les révolutions du secteur, bousculé par les exigences environnementales – le bâtiment émet près d’un quart des gaz à effet de serre français – mais aussi par les nouveaux usages. Les propriétaires se demandent comment attirer les locataires, et les locataires, leurs salariés. “Plus le bâtiment est vertueux, plus on a de chances de louer rapidement, à des entreprises qui vont rester longtemps. Pour ces employeurs, c’est aussi un argument pour recruter des talents”, affirme Franck Petel, titulaire de la chaire immobilier et développement durable de l’Essec, qui observe parmi ses étudiants une “extrême sensibilité à des bureaux agréables et respectueux de l’environnement”.Du bon café et des douchesLes utilisateurs sont même prêts à payer plus cher pour s’offrir des locaux vertueux – la prime “verte” sur les loyers dépasse 20 % en Europe -, avec des préoccupations qui ne se limitent pas aux économies d’énergie. Le directeur général adjoint de BNP Paribas Real Estate Transaction, Eric Siesse, voit des labels émerger tels Osmoz, autour du bien-être au travail, Biodivercity, pour une meilleure prise en compte de la nature, ou ActiveScore, qui valorise les mobilités douces. “Pour faire revenir les salariés au bureau, il faut du bon café et des douches de qualité : les jeunes qui viennent à vélo y tiennent”, affirme Zsolt Kohalmi, spécialiste de l’immobilier à la banque suisse Pictet. “Le succès du télétravail tient en partie au fait que les immeubles de bureaux étaient laids, construits avec des matériaux polluants, ajoute Guillaume Poitrinal. Le stock existant en Ile-de-France est obsolète. Le marché de la location souffre car l’offre ne correspond plus à la demande.”Au cours des neuf premiers mois de 2023, 1,3 million de mètres carrés de bureaux ont été alloués dans la région, un chiffre en baisse de 12 % sur un an, malgré un rattrapage récent. “Nous pensons qu’en 2023, la demande placée sera de l’ordre de 1,85 million de mètres carrés en Ile-de-France, contre 2,3 millions avant la crise sanitaire, avec un retrait plus marqué pour les grandes surfaces”, anticipe Eric Siesse. De quoi détourner les investisseurs, déjà refroidis par le coût du crédit : moins de 4 milliards d’euros d’acquisition de bureaux en Ile-de-France ont été comptabilisés entre janvier et septembre, soit la moitié des volumes connus un an plus tôt, selon ImmoStat. “Le tertiaire est à l’arrêt, confirme un dirigeant du secteur. Les taux sont tellement élevés que les investisseurs préfèrent placer leur argent avec une rémunération garantie plutôt que de prendre un risque immobilier.”Paris à tout prixDu côté des entreprises, l’évolution des modes de travail a jeté un flou sur leurs besoins en mètres carrés. “Elles sont perdues ! Il y a plein d’écrits contradictoires sur le télétravail. De grands noms de la tech font revenir leurs salariés au bureau quand de nombreuses PME semblent tourner sans problème avec un jour de présence par semaine”, observe Blaise Heurteux, fondateur de La Place de l’immobilier. Quand les repères sont brouillés, la règle fondamentale de l’immobilier se rappelle à tous : l’emplacement. Pour les surfaces de plus de 5 000 mètres carrés, “en première intention, la moitié de la demande se concentre sur la capitale, c’est historique”, note Eric Siesse.A tel point que l’offre disponible se tarit. Dans Paris intra-muros, le taux de vacance n’excède pas 4 %. On tombe autour de 2 % dans le quartier central des affaires (QCA) – en gros, le VIIIe arrondissement et ses alentours. Et les loyers grimpent : 1 000 euros par mètre carré pour la crème, du neuf dans le QCA, contre 880 euros en 2019. De l’autre côté du périphérique, la situation est bien différente avec près de 16 % de vacance en première couronne et jusqu’à 18 % à La Défense. “Canary Wharf à Londres, Francfort, La Défense… En Europe, les modèles à l’américaine sont en difficulté”, note Zsolt Kohalmi. Le blues du businessman, en somme, qui ne veut plus d’un bureau en haut d’une tour. Pour Blaise Heurteux, “il va falloir réinventer la zone de La Défense, recréer une nouvelle zone attractive, sous peine de voir la vacance s’aggraver. Mais la situation est encore plus critique pour des territoires moins bien irrigués, avec des municipalités moins riches, comme Saint-Ouen, où la vacance atteint 40 %.” Là où même les bureaux les plus verts auront du mal à convaincre.
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Author : Muriel Breiman
Publish date : 2023-10-15 06:45:00
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Immobilier de bureau : les entreprises perdues face aux nouveaux besoins
