Le glyphosate provoque-t-il des maladies neurodégénératives ? Une récente tribune publiée par un grand quotidien a alerté sur l’épidémie de pathologies comme Parkinson ou Alzheimer qui serait “en grande partie liée aux polluants présents dans notre environnement, tels que les pesticides”. Ses deux auteurs, Bas Bloem et Tjitske Boonstra, professeur et chercheuse en neurologie aux Pays-Bas, évoquent notamment “un faisceau de preuves scientifiques indiquant que le glyphosate est une cause possible de Parkinson”. S’ils reconnaissent que les données actuelles ne permettent pas de conclure en ce sens, ils estiment qu’elles sont suffisantes pour établir “un lien dit biologiquement plausible”.Le sort de cet herbicide aurait dû être tranché par un vote des 27 Etats membres, vendredi 13 octobre, sur la prolongation de son autorisation dans l’Union européenne. La majorité qualifiée requise pour valider ou rejeter le texte n’a toutefois pas été atteinte et un nouveau vote aura lieu mi-novembre. Cette échéance a néanmoins été, une fois de plus, l’occasion de voir s’affronter ses détracteurs, inquiets de ses risques pour la santé, et ses défenseurs, qui dénoncent les conséquences économiques de son retrait et le manque de certitudes scientifiques sur sa dangerosité. La tribune pointant les liens entre glyphosate et maladies neurodégénératives s’inscrit bien sûr dans ce contexte.Le lien entre Parkinson et les pesticides est démontré, pas avec le glyphosateCette affirmation s’avère toutefois surprenante. L’une des sources les plus complètes sur la question, l’analyse collective de 1 000 pages “Pesticides et effets sur la santé”, publiée par l’Inserm en 2021, ne mentionne en effet pas de lien entre le glyphosate et Parkinson ou Alzheimer. Alexis Elbaz, chercheur à l’Inserm ayant contribué au chapitre sur la maladie de ce rapport, est plus réservé sur cette relation, mais estime que la tribune soulève de bonnes questions. “Dans les maladies neurodégénératives, on distingue Parkinson, Alzheimer et la maladie de Charcot, rappelle-t-il. De ces trois pathologies, la mieux étudiée par rapport aux liens avec les pesticides est Parkinson. Un grand nombre de travaux montrent qu’il existe un lien entre le risque de Parkinson et l’utilisation de pesticides, ce qui a d’ailleurs abouti à la considérer comme maladie professionnelle chez les agriculteurs en France, dès 2012”.Des études ont également été menées sur les populations vivant à proximité des exploitations agricoles, notamment en Californie, où toute utilisation de pesticides est déclarée depuis les années 1970, ce qui a permis d’obtenir des bases de données très précises. Selon ces travaux, les personnes résidant près des champs traités voient leur risque de développer Parkinson augmenter. “En France, des travaux ont montré que les habitants des régions les plus agricoles ont également un risque plus élevé”, ajoute l’expert. Mais ces observations s’entendent tous pesticides confondus. “Savoir précisément lesquels sont concernés est bien plus compliqué”, précise-t-il.Le glyphosate, un herbicide totalParkinson se développe en effet souvent après l’âge de 70 ans. Soit des années, voire des dizaines d’années après l’exposition à des pesticides qui ne sont plus toujours utilisés aujourd’hui, notamment parce que nombre d’entre eux ont été interdits. Ensuite, les agriculteurs utilisent de nombreux pesticides différents au cours de leur vie, souvent de manière simultanée. Mesurer à quel point ils ont été exposés à chacun de ces pesticides s’avère donc complexe, si ce n’est impossible. Néanmoins, des études scientifiques ont réussi à pointer certains produits, comme le montre l’analyse de l’Inserm. Des données confirment ainsi une présomption de lien fort entre l’augmentation du risque de la maladie de Parkinson et l’utilisation d’insecticides organochlorés (interdits depuis plus de 10 ans en France), une présomption de lien modéré avec l’usage du paraquat (interdit en Europe depuis 2007), ainsi qu’une présomption faible avec trois fongicides : le zinèbe (interdit depuis 2001), le zirame (partiellement autorisé) et le mancopper (interdit).”En revanche, il existe peu de travaux qui s’intéressent à la relation entre l’usage du glyphosate et Parkinson, et ceux disponibles ne montrent pas de résultats très cohérents”, ajoute l’expert. Les auteurs de la tribune évoquent néanmoins “une étude récente” selon laquelle “l’exposition au glyphosate était associée à des signes de lésions cérébrales, mesurées par un marqueur sanguin des lésions cérébrales des maladies de Parkinson et d’Alzheimer”. Toutefois, les personnes exposées au glyphosate ont par ailleurs aussi pu être exposées à d’autres produits non mesurés qui pourraient contribuer à expliquer cette association. Même si ces travaux soulèvent un doute qu’il serait important d’investiguer grâce à des nouvelles études, ils ne permettent donc pas de conclure que le glyphosate est responsable d’une augmentation du risque de développer ces maladies – ni qu’il ne l’est pas.Autre affirmation étonnante de la tribune, “l’épidémie de la maladie de Parkinson” s’expliquerait par l’usage des pesticides et polluants présents dans notre environnement. “D’après des projections réalisées en France, le nombre de patients atteints de la maladie de Parkinson va augmenter d’environ 65 % entre 2010 et 2030, en passant de 155 000 à 260 000 cas en France, indique Alexis Elbaz. Mais la raison principale est le vieillissement de la population. Il est aussi possible que cette augmentation soit en partie liée au mode de vie – diminution de l’activité physique, pollution environnementale -, mais ce ne sont pas les principales causes”. Un autre chercheur, qui a requis l’anonymat, relève de son côté que les auteurs de la tribune sont “respectivement clinicien et chercheuse en électrophysiologie, sans production scientifique notoire sur les liens entre les pesticides et les maladies neurodégénératives”. Alexis Elbaz rappelle, lui, que Bas Bloem est un chercheur internationalement reconnu de la maladie de Parkinson.Les études évaluant les neurotoxicités des pesticides sont insuffisantesLa tribune soulève, néanmoins, le problème de l’insuffisante évaluation des pesticides avant leur commercialisation, notamment concernant leur neurotoxicité. “En Europe, l’évaluation des pesticides est réalisée par les industriels, qui doivent fournir des dossiers et des études exigées par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), qui donne ensuite son autorisation, détaille Alexis Elbaz. Or, et je suis d’accord avec la tribune sur ce point très important, les tests demandés aux industriels sont insuffisants pour déterminer si un produit est neurotoxique ou pas. Les doses testées sont insuffisantes et les tests effectués ne sont pas les bons. Nous manquons donc de données pour savoir si ces produits sont neurotoxiques ou non.”Le chercheur rappelle également que les études publiées récemment sur les liens entre Parkinson et les pesticides révèlent des problématiques concernant des produits utilisés dans le passé. Autrement dit, les liens avec les produits actuels ne seront probablement connus que dans plusieurs années. Raison pour laquelle il estime qu’il est crucial d’améliorer, dès aujourd’hui, les procédures visant à tester la neurotoxicité des pesticides. Dans l’idéal à travers des évaluations menées avec la participation d’instances indépendantes.
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Author : Victor Garcia
Publish date : 2023-10-15 05:30:00
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Le glyphosate à l’origine de maladies neurodégénératives ? Ces liens qui restent à démontrer
