Arrivé au Japon en 1988, après en avoir rêvé durant toute son enfance américaine, devenu le premier journaliste occidental à intégrer la rédaction du plus grand quotidien japonais, avant même d’écrire son best-seller, Tokyo Vice, Jake Adelstein a fait de son obsession la clé de son succès.
Celui d’un enquêteur mettant les techniques de l’investigation au service du dévoilement des dévoiements de la société japonaise, gangrénée par la puissance de mafieux contrôlant les principaux leviers de la vie économique et politique du pays. Cette obsession serait-elle aussi son vice ? À Tokyo, capitale du vice, l’auteur a lâché la proie pour l’ombre, en quittant le métier de journaliste pour celui de détective privé. Comme si le souci de comprendre devenait l’envie de condamner, et la curiosité d’un savoir virait à la pulsion d’un jugement.
Cette dérive mentale et pratique ainsi que tous les questionnements qu’elle a générés peuplent son nouveau récit introspectif, Tokyo Detective. Un récit qui met au jour, comme chez le Philip Marlowe de Raymond Chandler, le goût de la réflexion existentielle, par-delà les règles du métier. Reconverti en détective après avoir fait tomber l’un des plus grands parrains de la mafia japonaise, Jake Adelstein prolonge en fait son métier originel, en suivant les mêmes méthodes d’infiltration et de compagnonnage avec les yakuzas, que personne n’a jamais approchés d’aussi près que lui.
Pourquoi prendre autant de risques ?
Dès la fin des années 2000, le journaliste s’est mis à travailler secrètement pour le gouvernement américain, enquêtant sur les trafics d’êtres humains et sur les modes de corruption de l’économie japonaise. Il explique, par exemple, comment cette corruption solidement implantée a eu des effets dramatiques sur le pays, à travers le drame de Fukushima et de l’énergie nucléaire aux mains de yakuzas peu scrupuleux sur les règles de sécurité.
La part purement descriptive du récit donne un peu le vertige, tant l’auteur consigne des souvenirs d’une vie tout entière dédiée à ce face-à-face tendu avec ces derniers, laissant des questions ouvertes. Pourquoi avoir pris autant de risques et joué avec sa santé pour faire tomber ces gangsters de Tokyo, au point de tomber gravement malade d’un cancer du foie ? Par souci de justice ? Par goût du frisson ? Par héroïsme romanesque ?
Confessant à la fin du récit sa joie d’avoir échappé enfin à ce destin exclusif et réussi à quitter le métier de détective pour celui de prêtre bouddhiste zen, Jake Adelstein serait-il enfin apaisé au terme d’une rédemption et d’un attachement à un nouveau rituel obsessionnel : l’exorcisme des fantômes qui habitent les esprits agités ? “Je ne sais pas jusqu’à quel point on peut véritablement aider une autre personne à trouver le bonheur et la sagesse dans ce monde”, se demande-t-il, comme une nouvelle question à explorer, qui serait sa nouvelle raison de vivre. Son voyage à Tokyo n’est pas fini, son métier d’écrivain non plus.
Tokyo Detective, traduit de l’anglais par Doug Headline, éditions Points Policier, 384 p, 9,40 euros.
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Author : Jean-Marie Durand
Publish date : 2024-04-09 18:00:02
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