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Pitchfork Festival 2023 : on a exploré l’avant-garde

Pitchfork Festival 2023 : on a exploré l’avant-garde



Ponctuer un festival par l’avant-garde, voilà qui va de soi : c’est se tourner vers la nouveauté audacieuse, la découverte d’une flopée d’artistes niché·es dans l’antre de la sous-culture. Des musicien·nes dont l’univers s’est déployé sous nos yeux, dans une poignée de salles parisiennes choisies pour l’occasion. Ainsi, nous avons pérégriné, du XIe au XIIe, parcouru (une, deux, trois fois) la place de la Bastille – centre névralgique des festivités – pour rejoindre les différents concerts, définitivement prêt·es à se laisser happer par telle ou telle proposition.

Le temps de slalomer entre les festivaliers n’ayant pas pris les précautions d’usage en retirant leurs billets à 10 minutes de là, on pénètre au Café de la Danse le temps d’une bière et d’un concert de Jonah Yano, comparse de BadBadNotGood – et ça s’entend – pour démarrer idéalement les hostilités. Mais le véritable point de départ de notre Pitchfork Festival se situe à quelques encablures de là au Supersonic Records, salle adjacente de la maison-mère, pour assister au live des chouchous du magazine américain : Water From Your Eyes. Poseur ou introverti (c’est selon), le trio récemment signé chez Matador déploie un concert tendu et bruitiste (qui laisse quelques festivaliers sur le carreau). Avec le parlé-chanté distinctif de sa chanteuse Rachel Brown perçant sur des riffs stridents, Water From Your Eyes, c’est le son de la tension de celleux qui bandent les muscles et serrent les dents avant de pogoter.

New York City en plein Paris 

Retour à l’envoyeur. Lui s’est élancé sur scène face à un Café de la Danse au début clairsemé, qu’il n’a d’ailleurs pas tardé à retourner. À peine arrivé face à nous, The Dare s’est mû tout en rugissant, encerclé de ses boîtes à rythmes : une de part et d’autre. Il n’aura pas fallu attendre plus de deux morceaux pour que le public se densifie puis s’échauffe, quatre pour que Harisson Patrick Smith de son vrai nom fasse tomber la veste, cinq à peine pour qu’il lance un “Thank you for moving !” à l’intention d’une ribambelle de fougueux conquis·es – vingt ans à tout casser.

Car c’est là son cœur de cible, lui qui entend ranimer l’électroclash, faisant vibrer les cool kids de Manhattan au gré des soirées fiévreuses de Freakquencies – sa résidence de DJ – chaque jeudi soir. Un fragment pulsatile de ce qu’on imagine être le New York branché, ramené par son instigateur en plein Paris. Ainsi se déhanchaient des mirliflores à boucles d’oreilles (français, cette fois-ci), instagrammé·es par leurs comparses à l’acmé de leurs danses. Un clin d’œil à la volée, puis The Dare a achevé sa montée en tension en brandissant une cymbale qui s’était trouvée là. Une sacrée claque. 

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Encore un peu sonné·es par ce que l’on venait d’entendre, on a foulé les trottoirs bondés de Bastille et ses terrasses pléthoriques en direction du Supersonic, pour d’autres New-Yorkaises dont on attendait beaucoup : Cumgirl8. Nécessité de jouer des coudes – malgré toute l’affection portée à cette salle, elle était visiblement trop étriquée pour contenir l’aura du quatuor – on est parvenus à se hisser à une place stratégique.

Avec ses faux airs de Siouxsie Sioux, la chanteuse principale et bassiste s’est aussitôt distinguée par sa prestance grisante et hypnotique. D’une voix parfois ingénue à la Wet Leg, mêlée à un sens de la subversion sauce Kathleen Hanna, Lida Fox et sa bande – Veronica Vilim, Avishag Cohen Rodrigues et Chase Lombardo – ont fait retentir un son corrosif aux contours parfois électroniques, sonnant le glas d’un post-punk trop souvent genré au masculin. Et par leurs danses lascives et clopes au bec, piétinées la bienséance tout autant que la loi Évin.

À la croisée des influences

Mais trêves de bavardages, on fonce directement dans le froid de Paris pour rejoindre, à quelques minutes de là, le concert de Kara Jackson, nouvelle voix sidérante du blues américain. Scotché·es par l’intimité qu’elle créée à travers ses folks songs, par le simple souffle qui s’échappe des enceintes, ou par sa voix qui se répand en échos, on se dit que, définitivement, le blues – notamment sur le bien nommé Dickhead Blues – n’est jamais aussi beau que lorsqu’il accepte d’être une langue vivante et de son temps. Moderne et atemporel.

Mais, avant de rejoindre le Supersonic, place-to-be du soir, on s’octroie un énième crochet sur la scène du Café de la Danse pour se faire les témoins du concert le plus délibérément fun de la soirée avec Tkay Maidza. Autrice d’un album de pop affranchie paru récemment, l’artiste australo-zimbabwéenne égrène rap, pop, R&B et musiques de clubs à un rythme effréné devant un public bien moins taiseux qu’à l’accoutumé. Un petit triomphe qui tient presque entièrement à la versatilité et à la personnalité irradiante de Tkay.

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Dernière circonvolution du soir, donc, Le Supersonic, définitivement plus rempli et moite qu’auparavant. Entre le réputé poteau-obstructeur du lieu (dont les sévices sont d’ailleurs documentés, non sans humour sur les réseaux sociaux) et les dos couverts de cuir de grands gaillards, difficile de contempler le phénomène de nos yeux. On a d’abord aperçu d’abord sa chevelure bouclée, s’agitant au rythme frénétique du rock psyché qui retentissait puis, à force de quelques efforts, enfin vu Joe Love de tout son long, magnétique, affairé à sa guitare.

Sur scène, synthétiseurs et saxophone se conjuguaient à la perfection, insufflant une atmosphère définitivement brûlante – tempérée, heureusement, par des pluies de bière. Pogos obligent. Tandis que la foule sautait frénétiquement, et que des types qui ont déjà roulé leur bosse faisaient slamer des bacelles à l’énergie juvénile, s’est confirmée la proposition transgénérationnelle impulsée par les Londoniens. Lesquels disent d’ailleurs jouer “de la musique pour faire repousser [nos] cheveux”. Histoire d’inviter tout le monde, quel que soit l’état du cuir chevelu, à lâcher les chiens. Pari réussi.

Seconde soirée, entre surprises et attendus

S’il y avait bien une étape inéluctable de cette deuxième soirée d’avant-garde, c’était Bar Italia. Concert dont on a bien failli être privé·es, en atteste l’interminable queue qui se déployait (et cessait de s’allonger au gré des minutes) devant le Café de la Danse, alors que 20 h 30 se rapprochaient dangereusement. L’arrivée du trio londonien, on ne l’a pas vue de nos yeux, et les notes de leur premier morceau, c’est dans la ruelle bordant la salle qu’elles sont arrivées à nos oreilles. Une frustration vite dissipée, lorsqu’on a (enfin) pu accéder au lieu. Bondé, évidemment.

Réputés pour leur mutisme scénique, Nina Cristante, Sam Fenton et Jezmi Tarik Fehmi – accompagnés d’une bassiste et d’un batteur – étaient attendus au tournant. Côté public, il y avait là comme un parfum de défi : hurlements intempestifs entre les chansons (qui ont d’ailleurs arraché un sourire à Fehmi), sifflements et discussions à bâtons rompus à côté de nous, commentant les moindres gestes de l’un ou l’autre. Alors quand Punkt s’est achevé – morceau où Nina prononce un “I just want to lose control” prophétique – et qu’un effronté réclamait Jelsy, hélant à pleins poumons, elle a répondu : “Let’s see”. Fin d’un mythe ou récit du groupe qui tend à se réinventer ? Il y a même eu un “merci”.

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Dans un autre espace-temps, on quitte l’attraction londonienne de notre soirée dominicale pour un autre chouchou de la rédaction. Ici pas besoin de se faufiler pour assister à la performance dépouillée de l’artiste originaire de Baltimore, Nourished By Time, qui ne s’est pas fait prier pour livrer l’une des prestations les plus marquantes de nos deux jours de pérégrinations. Mâchoire serrée (la Brigade des stups aurait certainement eu quelques questions), chant habité et loops minimales et désarticulées, il déploie, sur la scène de l’Atelier Basfroi, toute l’expérience mystico-DIY de son premier succès : l’album Erotic Probiotic 2. Une performance aussi chancelante, sur un fil, hantée et pourtant jamais pontifiante que ce dernier. Un miracle d’équilibre. 

Balade éternelle

En sortant de la salle, on était sans doute plus enclin·es à palabrer sur les performances auxquelles on venait d’assister, plutôt que d’enchaîner les concerts. Ceci étant, la programmation contenait un nom qui avait attisé notre curiosité : Lutalo. Direction alors Les Disquaires, scène feutrée et intimiste où l’artiste se produisait. Aux côtés d’une bassiste et d’un batteur – dont les épaules légèrement rentrées disaient la timidité –, c’est guitare électrique en mains que Lutalo s’est aventuré face à nous, balayant du regard un premier rang aussi enthousiaste qu’enivré. Allures d’indie kids avec leurs docs aux pieds et t-shirts rayés, les trois Minnésotains ont déployé un folk-rock léché, exécuté avec une pudeur propice. Et achevé de faire de la chaleur ambiante un éther lénifiant.

Mais, dans l’éventail de choix qui s’offrait à nous pour clôturer cette nouvelle édition du Pitchfork Avant-Garde, on s’en est remis au destin. Pas foncièrement attiré·es par la musique de Dumb Buoys Fishing Club, on donne sa chance au produit sur la scène du Pop Up du Label. Avec la certitude de ne jamais y revenir, on goûte pourtant l’épiphanie de ce concert aussi surprenant que réjouissant porté notamment par un sosie de Mac DeMarco aux airs de Matthew McConaughey qui se révèle à nous en chanteur R&B d’obédience nineties et visiblement fan des Neptunes et de N.E.R.D. Un triomphe inattendu au goût de plaisir interdit dont l’euphorie nous amène sans heurts à la fin de nos pérégrinations annuelles du XIe arrondissement, les yeux encore écarquillés par l’absurdité de cette ultime bravade.



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Author : Louise Lucas

Publish date : 2023-11-13 13:57:29

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Tags : Les Inrocks

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