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Macron, mairie de Paris, AP-HP… Derrière le musée de Notre-Dame, d’improbables intrigues

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Accoler un musée à Notre-Dame de Paris, un lieu où les touristes pourraient en découvrir les secrets sans en encombrer les travées ? La perspective a évidemment de l’allure. Elle est pourtant en train d’alimenter une de ces luttes feutrées dont Paris a le secret dès lors qu’il s’agit de projets architecturaux et d’urbanisme. Avec, comme acteurs principaux, l’Etat, la Ville de Paris, le diocèse, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), mais aussi la Cour des comptes et la Société des amis de Notre-Dame. Et, comme enjeux, plusieurs millions d’euros et l’unité de la majorité municipale.Envisagée à plusieurs reprises depuis les années 1930, l’idée d’un “musée de l’œuvre de Notre-Dame de Paris” est toujours restée à l’état de projet. En avril 2019, ses défenseurs ont vu dans le spectaculaire incendie qui a ravagé la cathédrale l’occasion de réaliser enfin leur rêve. A plusieurs reprises, le général Georgelin, grand ordonnateur de la remise en état de la cathédrale, soutient publiquement l’ambition. Plus inhabituel, la Cour des comptes s’en mêle et pousse l’Etat à agir. Dans un rapport d’octobre 2022, elle note qu’avant l’incendie, les conditions d’accueil des 12 millions de touristes annuels étaient mauvaises. Qu’en sera-t-il lorsqu’ils seront 2 millions de plus comme estimé à la réouverture fin 2024 ? Le musée n’est-il pas une manière d’absorber le flux supplémentaire ? Emmanuel Macron la prend au mot. Lors d’une visite sur le chantier en avril 2023, il se dit “favorable à ce qu’une réflexion s’engage sur la création d’un musée”.Malgré l’impulsion présidentielle, des résistances subsistent. Au ministère de la Culture, elles sont surtout financières. Déjà, dans le budget 2024, il a fallu renoncer au projet de Cité du théâtre dans le XVIIe arrondissement de Paris, trop onéreux. Alors, un musée… Dans sa réponse aux observations de la Cour des comptes, la rue de Valois a fait ce qu’elle sait le mieux faire lorsqu’elle ne veut pas d’une idée encombrante : rester floue. Les magistrats n’avaient pas aimé qu’elle évoque de simples “hypothèses restant à expertiser” : “le ministère de la Culture ne paraît pas suffisamment conscient des enjeux […] et n’a pas pris d’initiatives fortes sur cette question”. La Culture n’est pas la seule à traîner des pieds, la Ville et l’AP-HP sont dans le même état d’esprit.Pour tenter d’avancer, au début du mois de juillet, une mission de préfiguration est confiée à un haut fonctionnaire du ministère. Charles Personnaz est bien connu du milieu, il dirige depuis plusieurs années l’Institut national du patrimoine qui forme les futurs conservateurs. Très investi dans la défense des chrétiens d’Orient, il bénéficie aussi de la bienveillance de l’Eglise. A charge pour lui de répondre aux multiples questions que pose un musée : faut-il en créer un ? A quel endroit ? Avec quelles collections ? Le calendrier est serré : un prérapport doit être remis à Rima Abdul Malak, la ministre de la Culture, en décembre, une version définitive en avril 2024. Une double échéance qui permet de tester des hypothèses, de mesurer les réactions, d’ajuster les objectifs.A l’occasion d’une visite du chantier de reconstruction de Notre-Dame de Paris en avril 2023, Emmanuel Macron lance la “réflexion” autour du musée.Charles Personnaz sait mieux que personne que l’emplacement du futur musée concentre l’essentiel des crispations. Parmi les options : le Palais de Justice, déserté depuis que le nouveau tribunal a ouvert au nord de Paris. Après tout, il héberge déjà la Sainte-Chapelle et la Conciergerie et n’est qu’à quelques centaines de mètres de la cathédrale. Mais il est jugé trop éloigné, comme le musée de Cluny, sur la rive gauche de la Seine. Autre piste, un local sur l’île de la Cité appartenant à la RATP, mais il mesure 1000 mètres carrés, trop petit pour les ambitions affichées. A quelques mètres, rue Chanoinesse, un joli immeuble de briques rouges n’a aucun de ces inconvénients, mais il est propriété de la préfecture de police, qui n’est pas pressée de s’en défaire. En réalité, tout le monde n’a d’yeux que pour un autre bâtiment : l’Hôtel-Dieu, idéalement situé avec son entrée principale donnant sur le parvis. Propriété de l’AP-HP, l’hôpital, vieillissant, est en cours de réaménagement. Le projet traîne depuis si longtemps qu’une partie des bâtiments est vide, certains y voient la solution idéale pour le futur musée.L’avenir de l’Hôtel-Dieu en jeuMais l’AP-HP ne l’entend pas de cette oreille. Depuis des années, elle bataille pour garder l’Hôtel-Dieu dans son giron tout en finançant sa remise aux normes, estimée entre 350 et 500 millions d’euros. Un premier projet associant acteurs privés et hôpital a été jugé “scandaleux” et écarté pour “massacre patrimonial”. En 2019, l’AP-HP conclut un nouveau partenariat, a priori moins polémique, destiné à financer les travaux. Elle conserve les deux tiers du lieu pour des activités médicales (urgences, service de psychiatrie, lieu d’accueil pour personnes précaires…) et loue les 20 000 mètres carrés restants à un aménageur, Novaxia. En contrepartie de l’installation d’un incubateur médical, mais aussi de restaurants, de commerces, de logements, ce dernier doit verser 80 millions d’euros à l’AP-HP au démarrage des travaux puis 2 millions d’euros par an pendant quatre-vingt ans.Le montage semble idéal. C’est sans compter sur les passions que suscite le patrimoine parisien. Benoît Duteurtre, puis Stéphane Bern et Cynthia Fleury publient des tribunes dans Le Figaro ou dans Le Monde pour dénoncer le projet et défendre la vocation hospitalière de l’Hôtel-Dieu. L’ambiance devient délétère. Jean-Louis Missika, premier adjoint au moment de l’adoption du projet, est alors visé par une enquête du Parquet national financier pour prise illégale d’intérêts pour ses relations trop étroites avec Novaxia. Les promoteurs du projet sont, eux, accusés de “marchandisation de l’hôpital public”.La mairie n’a pas besoin d’un front supplémentaire alors qu’elle ferraille déjà depuis des mois avec les opposants à son projet d’aménagement des abords de Notre-Dame. Dans cette bataille-là, il est question de préservation des végétaux et de maintien des grilles de séparation entre les jardins, on s’y écharpe à coups d’arbres symboliques, de lieux de recueillement transformés en pelouse à pique-nique, de reproches de conservatisme. Une pétition recueille plus de 50 000 signatures. Le macroniste Clément Beaune, tenté par la municipale de 2026, s’invite d’un tweet dénonçant la suppression des grilles. Les plus actifs des opposants ne recoupent pas toujours ceux du musée, mais l’unité de lieu échauffe les esprits. Et c’est dans ce contexte que le réaménagement de l’Hôtel-Dieu fait son retour à l’occasion de l’ultime séance du Conseil de Paris avant la trêve estivale.Riffifi au conseil de ParisPour être louée à un promoteur et accueillir des activités commerciales, la parcelle de 20 000 mètres carrés, jusque-là enregistrée comme “zone de grands services urbains”, doit, en effet, être “déclassée” dans le Plan local d’urbanisme (PLU) parisien. Mais alors que le projet Novaxia a été validé en 2019 par une commission comprenant quatre adjoints d’Anne Hidalgo dont l’écologiste Anne Souyris, voilà que la majorité municipale se déchire sous l’œil goguenard de l’opposition. Une partie des écologistes et des communistes refusent de voter la modification si le projet de l’Hôtel-Dieu y figure. Face au risque de rejet global du PLU, Emmanuel Grégoire, désormais premier adjoint, opte pour un repli en bon ordre. Les partisans du réaménagement sont dépités. “Au sein de la majorité, certains portent un discours immature, pas réaliste autour du 100 % hôpital et contradictoire avec des décisions votées, déplore Ariel Weil, le maire de Paris Centre. C’est dommage de bloquer ce projet qui permet un hôpital moderne et ramènera de la vie sur l’île de la Cité.”Pour l’AP-HP, la capitulation municipale a des allures de désastre. L’institution n’a pas les moyens de financer ses travaux si Novaxia ne lui verse pas la somme promise. Plus grave, si le contrat avec le promoteur n’est pas honoré, les conséquences juridiques et financières s’annoncent catastrophiques. L’avenir de l’Hôtel-Dieu, en suspens depuis dix ans, est une nouvelle fois incertain. Et voilà qu’opportunément, certains prétendent récupérer une partie de l’hôpital pour en faire un musée ! Non pas que la direction de l’AP-HP soit hostile à la cathédrale – en 2019, elle avait proposé de mobiliser une partie de ses espaces pour permettre la continuité de l’accueil des pèlerins et visiteurs – mais elle a des soucis d’une autre ampleur.Elle décide de tenter un coup de poker dans un donnant-donnant implicite dont la France est coutumière. Car l’AP-HP disposera, à terme, d’environ 5000 mètres carrés vides, faute d’argent pour y financer les travaux. Soit un peu plus que le Musée Carnavalet à Paris ou légèrement moins que le musée de l’Orangerie dans les Tuileries. Le musée pourrait y loger. Mais les hôpitaux de Paris posent une condition préalable : que l’Etat redonne vie à l’accord avec Novaxia en laissant le préfet de région passer outre le PLU municipal en décrétant le projet d’utilité publique comme il en a la prérogative. “Ce ne serait pas la première fois, note Emmanuel Grégoire. L’Etat l’a déjà fait pour le futur siège de la DGSE à Vincennes.”Reste à convaincre les défenseurs du musée du bien-fondé de cette solution. Car les surfaces disponibles se situent non pas vers Notre-Dame, mais du côté du marché aux Fleurs et de la Seine et n’ouvrent pas sur le parvis, ce qui réduit la visibilité du futur musée. Soucieuse de réserver à Novaxia l’emplacement promis et de ne pas laisser la polémique grandir, l’AP-HP martèle qu’il n’existe pas d’autres espaces disponibles. Et que, si elle veut bien étudier la possibilité d’un accès par le parvis, elle ne peut pas le garantir si cela doit remettre en cause son contrat avec Novaxia. Pas question de se lancer dans un dangereux jeu de domino qui risquerait de fragiliser le montage initial.Que faire du coq de la flèche de Viollet-Le-Duc ?Autre inconnue, personne ne sait si la surface peut héberger un musée dont les pièces sont nombreuses et variées, nécessitant parfois de la hauteur sous plafond ou de grandes salles. Les collections du diocèse et des musées comme Carnavalet, Cluny ou Arras sont riches. La Société des amis de Notre-Dame a également la sienne, un temps exposée à proximité de Notre-Dame et qu’elle entend montrer dans le futur musée. “Nous avons une crédibilité avec des œuvres importantes et reconnues”, insiste Jean-Michel Leniaud, son président. Il y a aussi ces chimères, le coq de la flèche de Viollet-Le-Duc et les autres éléments récupérés après l’incendie qui ne peuvent être réutilisés dans la cathédrale, mais racontent son histoire. Et les Mays, ces peintures commandées chaque année par la confrérie des orfèvres et offertes à la cathédrale au XVIIe siècle. Il faudrait aussi de la place pour les trouvailles des fouilles archéologiques préventives – des fragments de jubé ont notamment été mis au jour –, pour le récit de l’histoire architecturale, politique et religieuse de Notre-Dame et pour la présentation des métiers d’art ayant participé à la reconstruction des dernières années.Chacun imagine le futur contenu, mais personne ne parle argent. “La question n’est pas “est-ce qu’il y a la surface ?”, mais “est-ce que vous voulez la payer ?”. Il n’y a aucune raison que l’AP-HP subventionne le musée”, tranche un bon connaisseur du dossier. Il faudra notamment verser à l’AP-HP un loyer pour les espaces utilisés si l’Hôtel-Dieu est finalement retenu par l’Elysée et assumer les dépenses de fonctionnement. Or, la ville n’a pas l’intention de participer à ce qui sera un musée d’Etat, sauf par des dons en nature issus, par exemple, du musée Carnavalet. Le diocèse gère le Trésor de Notre-Dame au sein de la cathédrale et ne contribuera pas davantage. Et il n’est pas question d’utiliser l’argent des dons destinés à la restauration du lieu de culte s’il en reste, la loi ne le permet pas.Qu’une petite partie des millions de visiteurs de la cathédrale s’acquittent d’un billet suffirait sans doute à assurer la rentabilité du lieu. En 2018, les tours de Notre-Dame avaient rapporté au Centre des monuments nationaux 3 millions d’euros, avec 476 000 visiteurs. Mais les touristes feront-ils le détour si le musée n’est pas directement relié à la cathédrale ? Jusqu’à l’incendie, la durée moyenne de visite était de vingt minutes. C’est peu. Il faudra les convaincre de l’intérêt de l’offre. Et cela ne résout pas la question du financement des travaux préalables. L’Etat acceptera-t-il de mettre la main à la poche après avoir mené trois grands chantiers exceptionnels à Villers-Cotterêts, Notre-Dame et au Grand Palais ? Des mécènes accepteront-ils de réinvestir après l’immense succès de la collecte pour la cathédrale ? Charles Personnaz y croit. Mais il sait aussi que rien n’est encore assuré, pas même la création du musée. La disparition en août du général Georgelin a privé le projet d’un de ses soutiens de poids. L’Elysée peut encore décider de ne rien faire. Reste l’envie d’Emmanuel Macron de laisser durablement sa trace dans l’Histoire.



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Author : Agnès Laurent

Publish date : 2023-11-19 16:30:00

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