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“L’Empire”, une odyssée SF à grand spectacle façon Bruno Dumont

“L’Empire”, une odyssée SF à grand spectacle façon Bruno Dumont



En un peu moins de trois décennies et seulement douze longs métrages, Bruno Dumont a su pratiquer, comme peu d’autres auteur·rices, l’art de la rupture et du contrepoint au sein de sa filmographie. D’abord disciple rigoureux du credo bressonien (antinaturalisme/ascèse/non-jeu), il n’a cessé de mettre son cinéma en crise par de successives révolutions (l’arrivée d’une actrice professionnelle, Juliette Binoche, dans Camille Claudel 1915 en 2013, l’irruption du burlesque avec Ma Loute en 2016, puis de la comédie musicale dans son diptyque sur Jeanne d’Arc en 2017 et 2019).
Par sa trajectoire polymorphe, Bruno Dumont démontre que le mystère du réel est aussi perceptible au cœur des grands artifices du cinéma que dans une forme âpre et radicale, initiée au début de sa carrière. C’est donc à peine étonné·es que nous apprenions que le réalisateur de L’Humanité (1999) allait proposer sa version personnelle d’un film de science-fiction à grand spectacle, tant ce cheminement semble définir le nouvel axiome de son cinéma : repartir des forces falsificatrices les plus extravagantes de la fiction pour y raconter une certaine vérité du monde.
Sans grande surprise, dans L’Empire, ce n’est pas Dumont qui se projette dans la science-fiction, mais la science-fiction qui s’invite dans l’univers singulier du cinéaste. Dans chaque recoin de l’image se trouvent la trace et les grands principes stylistiques de son auteur (refus du naturalisme, fixité des cadres en CinémaScope, coexistence permanente du matériel et de l’immatériel). Le réalisateur franchit pourtant un nouveau seuil. Le ciel, tant filmé chez lui, n’est plus ce toit nébuleux et infranchissable, mais le passage vers un autre territoire : le cosmos. Saisir l’au-delà et l’affrontement au-dessus de nous des grandes forces métaphysiques, c’est ce qu’il a toujours cherché, sans pour autant leur donner une forme visible.
Ici, cette métaphysique est personnifiée par les deux grandes entités antagonistes du film : la Reine (Camille Cottin) et Belzébuth (Fabrice Luchini, en photo). Se livrant à une guerre qui surplombe la Terre tout en s’y invitant, ces deux forces, d’abord abstraites, prennent des enveloppes humaines et vont multiplier les allers-retours entre leur galaxie et notre planète. Elles interagissent avec les êtres hybrides mi-humains, mi-extraterrestres que sont Jony (Brandon Vlieghe) et Jane (Anamaria Vartolomei), ou de simples témoins terriens comme Line (Lyna Khoudri) et les désormais célèbres commandants Van der Weyden et son adjoint Carpentier (Bernard Pruvost et Philippe Jore), tout droit jaillis de P’tit Quinquin (2014).
Si l’on pourrait voir dans ce combat intersidéral une banale opposition du Bien et du Mal, le monde filmé par Dumont n’est jamais binaire. Chez lui, le Bien et le Mal n’existent pas en soi. L’Empire fait d’ailleurs répéter à ses personnages la vacuité de ces termes. C’est pourtant la collision de ces deux forces qui va libérer une énergie immense lors de l’affrontement final, splendide ballet que le cinéaste conduit avec une puissance épique bouleversante.
Dans la dernière séquence, le vortex résultant du combat recrache une pluie d’objets et d’animaux en tous genres qui s’abattent sur Terre sous les yeux hébétés de son duo de policiers. Dépouillés de la charge burlesque investie dans P’tit Quinquin, les deux personnages deviennent le principal relais des spectateur·rices, le véritable miroir de notre condition humaine. Devant ce tableau absurde, ils incarnent cette impossibilité de comprendre le monde tout en ressentant la moindre de ses particules. Il n’y a pas d’élévation, au sens divin du terme, chez les personnages de Dumont : la transcendance résulte de la simple et pourtant miraculeuse expérience sensitive du bruissement de l’univers. Parce que le chaos et la grâce cohabitent à chaque image, L’Empire nous fait entendre la mélodie de ce monde en perpétuel mouvement.
L’Empire de Bruno Dumont, avec Lyna Khoudri, Anamaria Vartolomei, Camille Cottin (Fr., All., It., Bel., 2024, 1 h 50). En salle le 21 février.

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Author : Ludovic Béot

Publish date : 2024-02-19 08:00:00

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Tags : Les Inrocks

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